mercredi 23 janvier 2008

« Culture et développement, 2008», un nouveau scanogramme d'Emmanuel Dufour


Photo Emmanuel Dufour,
« Culture et développement, 2008» (scanogramme)


Il y a quelques semaines, j'ai suggéré à Emmanuel de scanner les reliefs du savoureux repas qu'il avait préparé chez lui. Les infimes et fragiles os de caille, aussi légers que des allumettes, s'amoncelaient dans un plat posé sur l'évier de sa cuisine. Cela ressemblait à un mikado confus et structuré à la fois.


Il me semblait qu'il y avait une logique interne dans le désordre des ossements accumulés, superposés sans souci d'organisation.


Comme je le lui ai suggéré, Emmanuel a scanné ces squelettes, qu' évidemment, et contrairement à son habitude, il ne conservera pas dans une boîte en carton...


Une belle nature-morte scanographique en résulte, qui s'apparente à un bas-relief de pixels aussi macabre que visuellement séduisant.

mardi 8 janvier 2008

Les portraits scanographiques de Driss Aroussi


Photo Driss Aroussi , « Aziza , 2007 » (scanographie)


Driss vient de réagir au texte que je viens de consacrer aux expérimentations d'Emmanuel Dufour :


« En lisant le dernier texte posté sur les objets scannés d'Emmanuel Dufour, j'ai souhaité vous montrer l'état d'avancement de ces images... Ces identités scannés je ne sais pas trop quoi en penser, ni comment les regarder à vrai dire.
J'ai bricolé sur un trépied une accroche qui me permet de fixer le scanner à la vertical, avec un drap noir par dessus, et l'ordinateur gère tout ça.
Cela marche assez bien, la pose est longue (environ 2 min en 300 dpi ) pour le portraituré ; si la personne bouge l'image est déformée de façon assez violent, ce n'est pas un flou ( de bougé ) mais plutôt un éclat. »


J'aime beaucoup la notion d' « éclat » utilisée par Driss. Voilà un travail en cours des plus prometteurs me semble-t-il, qui renoue avec les distorsions pratiquées dès les années 1920 par différents photographes, André Kertész en particulier. L'hyperréalisme de l'image scanographique, que j'avais signalé au sujet des photos d'Emmanuel, se trouble ici, comme la surface de l'eau d'une rivière parfaitement transparente et reflétant si bien le monde extérieur, au moindre impact de pierre, souffle de vent, ou pour paraphraser Driss, au moindre « éclat ».


Le scanner me fait penser à un miroir absorbant, enregistrant, sensé restituer l'objet avec une précision absolue, mais peut parfois, comme les miroirs des fêtes foraines, devenir déformant. Une manière d'hyperréalisme qui tendrait vers le fantastique ou le surréalisme ?


Dans le portrait d'Aziza en particulier, la matière irrégulière me fait aussi beaucoup penser aux reflets bleutés des daguerréotypes, véritables images-miroirs, au sens propre et figuré. C'est une fois de plus, comme me l'a si justement écrit Véronique Guerrin à propos de mes sténopés numériques, « un bon en avant technologique et un retour au origines de la photographie ».

lundi 7 janvier 2008

Les scannogrammes d'Emmanuel Dufour



Emmanuel Dufour,
« Cassette, 2003 » /
« Piège, 2004 »
(Scannogrammes)


J'ai souvent évoqué les travaux d'artistes recourant à des sténopés, des appareils de prise de vue dépourvus de viseurs et surtout d'optiques. Il existe un autre courant majeur de la Foto Povera, peut-être moins connu : la scanographie, avatar numérique des rayogrammes, schadographies, et autres photogrammes réalisés sur papier argentique dès 1919. Cette fois, attitude plus radicale encore que la sténotypie, l'appareil-photo a complètement disparu.


En 2005, à l'occasion de Foto Povera 3, nous avions exposé au Centre Photographique d'Ile-de-France (Pontault-Combault) un photogramme de Nancy Wilson-Pajic : une image par contact et en négatif, sans l'entremise d'un appareil, sur le papier bleu du cyanotype, d'un vêtement qui n'était pas sans rappeler le Saint-Suaire de Turin.


Emmanuel Dufour accumule des objets glanés qu'il scanne sans les avoir préalablement photographiés. Il obtient ainsi des « scanogrammes ». Sa démarche est celle d'un collectionneur, sinon celle d'un taxinomiste. D'ailleurs il ne jette jamais ces objets après usage et les conserve soigneusement dans des cartons, comme autant de pièces précieuses et parfois fragiles de ce que je nommerais une « collection sentimentale ».


Taxinomiste, il l'est d'ailleurs au sens quasi littéral du terme puisque les insectes sont récurrents dans ses images. Une image de la même évoque aussi clairement un piège qui pourrait bien être destiné destiné à capturer ceux-ci.


Si une telle pratique relève d'une propension, comme chez les auteurs de photogrammes, à fixer une empreinte absolument directe du visible, sans les intermédiaires d'une optique ou les mécanismes d'un boîtier, les natures-mortes obtenues sont d'une troublante précision. L'hyperréalisme des images d'Emmanuel tranche franchement avec les flous spectraux, souvent abstraits, des expérimentations avant-gardistes de Christian Schad, Man Ray ou Laslo Moholy-Nagy. Les moyens sont proches, la volonté d'une empreinte directe identique, mais le résultat est formellement opposé. A l'image je l'espère, de la variété, et de la richesse, des préoccupations qui animent les acteurs de la Foto Povera...


Le site d'Emmanuel :


http://scannogrammes.emmanueldufourcoloristematieriste.com/


vendredi 4 janvier 2008

Le Vésuve par Pierryl Peytavi (Brownie flash)


Photo Pierryl Peytavi, « Le Vésuve, 2006 » (Brownie flash)


Pierryl vient de m'envoyer les photos qu'il a pris récemment avec un Brownie flash 6x6 cm. Séduit par toute la série, l'une de mes préférées sort toutefois pour moi du lot, très subjectivement, je l'avoue. Elle été prise d'une fenêtre de bus – sans doute suis-je influencé par sa série éponyme à laquelle je viens de consacrer un texte, et mon propre travail au sténopé ! ... ainsi que mon récent séjour dans le Sud de l'Italie –, et montre la vaste baie de Naples, matinale ou crépusculaire. La scène semble fondue dans un flou aussi atmosphérique qu'optique. Avec, en arrière-plan, les rondeurs faussement rassurantes et sensuelles du Vésuve qui détruisit (mais paradoxalement sauvegarda, momifia on le sait) Herculanum et Pompei en 79 ap. J.-C., et se réveilla, cela on le sait moins, il n'y a pas si longtemps, en 1944.


L'objectif de cette toy-camera est de médiocre qualité. Cette fois on est, sans aucun doute, technologiquement dans la « Foto Povera ». Même si je m'en défends une fois de plus, je n'ai pas la tentation, et ne l'ai jamais eu, de dresser une typologie des appareils « pauvres » qui serait le dénominateur commun des acteurs du collectif...


Pourquoi cet « effet », ou plutôt ce sentiment de « fenêtre » ? : je ne l'ai compris qu'après coup : comme dans mes photos prises à la box 6x9, le film à l'intérieur de l'appareil n'était pas parfaitement tendu, bien plaqué et par conséquent a gondolé légèrement. Bien que délimité par des lisérés noirs encadrants mais irréguliers. Par ailleurs, la poussière sur la fenêtre sale génère, tel un calque, un écran qui diffuse la lumière. Comme si Pierryl avait visé à travers unbloc de verre mal taillée aux contours approximatifs. Et en effet, il n'y a rien, au sens propre et figuré de net, de sec, ou de tranchant dans cette image. Mais une douce et rassurante dissolution des apparences... et des dogmes visuels.


Voici une pure « image-sensation », comme l'écrit Serge Tisseron dans Nuage-Soleil (Marval, 1994) à propos des photos de Bernard Plossu, notre ami et mentor commun. Des images qui relèveraient d'une « attention suspendue ». Je parlerais moi d'une concentration dilettante – il s'agit d'un « appareil amateur », ce qui encourage à cette attitude ? – d'un lâcher-prise visuel parfaitement assumé. Voilà ce que j'aime dans cette photo si intemporelle de la baie de Naples. Si je devais ouvrir les yeux pour la première fois et la dernière fois, j'aimerais que ce soit cette image qui s'imprime définitivement sur ma rétine.

mercredi 2 janvier 2008

Les « Fenêtres » de Pierryl Peytavi

Photo Pierryl Peytavi, « Fenêtre n°3, 2003 », tirage argentique


La série des « Fenêtres » de Pierryl Peytavi présentent de fortes affinités avec nombre de travaux de la Foto Povera., et, notamment... le mien. Si le photographe utilise un boîtier reflex traditionnel, « sérieux », les enjeux esthétiques sont proches, me semble-t-il, de ceux de mes propres « Fenêtres / Windows », réalisées avec un sténopé numérique.


Dans les photos de Pierryl Peytavi, les distorsions naissent de la surface certes plate (contrairement aux miroirs déformants des fêtes foraines, et qu'utilisa André Kertész pour réaliser ses « Distorsions »), mais brouillée par toutes sortes d'accidents et d'éléments parasites : poussière, gouttes de pluie, buée, cassures dans le verre, morceau d'adhésif etc. Une voiture semble ainsi augmenter de volume, est déformée par les caprices d'une perspective indécise. La fenêtre n'est plus seulement cette surface transitionnelle, intermédiaire, entre l'extérieur et l'intérieur. Elle s'affirme chez Pierryl comme un écran projectif, une matrice d'images mentales. Certaines vitres évoquent justement ces plaques de cuivre, ou de bois sur lesquels le papier est fortement comprimé à l'aide d'une presse pour obtenir une gravure, une lithographie etc. Ce n'est pas un hasard si Nièpce, l'inventeur de la photographie était justement un graveur qui voulait obtenir les meilleurs reproductions d'oeuvre d'art à l'aide du bitume de Judée, et s'il choisit la vue de sa fenêtre comme sujet de son premier cliché ! Une fenêtre originaire, qui évoque beaucoup le principe de la camera lucida. Dans les images de Pierryl, es rectangles lumineux semblent hésiter, sans cesse, entre la transparence et l'opacité : l'image semble se former sous nos yeux, révélant peut-être plus ce qui se passe à l'intérieur qu'à l'extérieur. La lumière semble provenir autant de la pièce que du dehors, dont les éléments sont de toute façon, le plus souvent, en partie ou totalement « illisibles ».


D'autres images ressemblent à des blocs de verre figés emprisonnant d'énigmatiques et capricieux signes caligraphiques, ou encore ces morceaux d'ambre qui retiennent prisonniers les insectes depuis la Préhistoire, et que Günther Grass, que je suis tenté de citer à nouveau ici, utilise comme métaphore de la mémoire : les souvenirs (des images mentales donc) sont encapsulés dans le bloc transparent (Pelures d'oignon, 2006).


Grains argentiques ou pixels numériques, boîtier classique ou sténopé, mes fenêtres et celles de Pierryl n'encapsulent pas seulement des souvenirs, elles sont des matrices, des fabriques d'images translucides en devenir...