jeudi 14 février 2008

De l'Hasselblad au Diana, « Silent Nests » de Vicki Topaz



Photos Vicki Topaz,
« Plounerin, 2005 » (Diana) /
Sibril, 2005 » (Hasselblad)


« Document poétique », pour reprendre la belle expression de Jean-André Bertozzi, j'emploierais aussi l'expression « document affectif » ou « sentimental » (sans sentimentalisme aucun !) à propos de la série « Silent Nests » de Vicki Topaz.


Après le décès de sa mère, la photographe, qui vit à San Francisco, et dont la famille est originaire de l'Europe de l'Est, entreprend de traverser avec son mari l'Ancien Continent depuis la pointe est de celui-ci.


En Bretagne, puis en Normandie, elle découvre ces colombiers tellement photogéniques et décide de les photographier, d'abord avec son Hasselblad – un boîtier hautement professionnel. Très vite, elle éprouve le besoin d'utiliser un Diana en plastique, parce qu'il restitue une vision plus intimiste et subjective du sujet. Si cet appareil-jouet rudimentaire produit une image piquée au centre, celle-ci se dilue sur les bords dans les flous d'un vignettage du à la médiocre qualité de l'optique, suggérant un resserrement mental de la vision.


Selon Gilles Boussard, elle « [convoque] les pratiques de la "photographie pauvre" de Bernard Plossu et le sens du classement typologique de Bernd et Hilla Becher » (La Lettre de L'Imagier n° 35, janvier 2008).


La dimension typologique chère à l'Ecole de Düsseldorf est en effet ici citée, et brillamment dévoyée par la photographe (déjà, par le fait que les vues sont rarement frontales, premier écart aux conventions du style). Et, en même temps, nous sommes, à l'évidence, dans la Foto Povera. Ce n'est pas la première fois que je constate une hybridation qui pourrait paraître antinomique à certains. La série « Voigtland », de Christophe Mauberret, en constituait un autre exemple convaincant et passionnant, pour d'autres raisons, sur lesquelles je reviendrai d'ailleurs prochainement avec lui sur ce blog.


Sans doute mes propres images et celles de Remi Guerrin, comme beaucoup de photos des participants du collectif Foto Povera, doivent-elles de même beaucoup au style dit « documentaire », à Walker Evans bien sûr, mais aussi aux participants de l'exposition « New Topographics » tels que Lewis Baltz ou Robert Adams, dans la manière de cadrer, et les sujets de prédilection (zones intermédiaires, terrains vagues etc.). Loin des querelles stériles de chapelles, rappelons ici que les « genres » ou les « écoles » sont beaucoup plus poreux et traversés d'influences complexes voire (positivement,) contradictoires, que ne l'écrivent souvent les historiens « officiels » de la photographie (dont je m'exclue puisque je me passionne depuis le début des années 1990 pour les pratiques dites parfois « alternatives » qui n'ont guère droit de cité sur les cimaises de l'Etat français et les galeries parisiennes, ou un salon tel que Paris-Photo).


Revendiquer une pratique « paradoxale », « contradictoire » dans ses moyens et ses fins : la conclusion du texte que consacre Gilles à Vicki Topaz me plaît à ce titre beaucoup :
« Elle rapproche les contraires pour mieux exacerber nos sens ». (Op. cit.)


Gilles Boussard remarque aussi très justement : « Ces splendides bâtisses présentent des murs percés de centaines de petits orifices qui évoquent chez les passionnés de photographie ces expériences dites "sténopés", où l'on domestique la lumière dans une boîte par un minuscule trou pour exposer le papier photographique. Tel est le colombier comme une camera obscura à objectifs multiples... »


Du colombier à la camera obscura : ces constructions cylindriques m'ont aussi fait d'emblée penser aux citernes d'eau de New-York transformées en sténopés par Claire Lesteven. Il existe toutefois un contraste très net, visuellement, entre l'aspect ordinaire de ces citernes urbaines en bois et cet « objet architectural aristocratique en déshérence » (Ibid.) .


Les images auraient pu être prises de l'intérieur des colombiers transformés en sténopés, comme le fait Claire Lesteven avec ses citernes, Felten + Massinger avec leur caravane, Vik Munoz avec des blockhaus... Seule l'hypothèse, la virtualité du dispositif est ici suggérée. Au spectateur d'élaborer ses images mentales, hors cadre. Comme y incitent les images prises au Diana de l'intérieur des colombiers, matrices possibles de visions subjectives, voire mentales, oniriques.



« Silent Nests ». Exposition de photographies de Vicki Topaz à L'Ardi-Photographies, Cité Gardin, 32 avenue de l'Hippodrome, Caen, tél. 02 31 50 04 56.


www.ardiphot.com

www.vickitopaz.com



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