Deux structures massives, l'une rocheuse et l'autre métallique, qui ont en commun d'être dangereuses en puissance : un volcan toujours actif et un avion de l'Air Force. Comme les autres images de la série « Voigtland » exposée à plusieurs reprises dans Foto Povera (1 et 3), ces images ont été prises avec un vieil appareil Voigtlander à soufflet.
Alors que je terminais mon DEA d'Histoire de l'art (Université Paris-1) consacré aux « Pratiques archaïsantes dans la photographie contemporaine », j'avais il y a dix ans, demandé à Christophe si ces images relevaient, lui, d'une pratique « archaïsante » ou « primitiviste ». Voici un extrait de la longue réponse qu'il me fit par courrier :
« [...] Ce travail émergeant relève-t-il d'une "pratique primitiviste " telle que tu en ébauches la définition dans ta lettre ?
Tu sais, car nous en avons déjà discuté, que les photos sont faites avec un Voigtlander Bessa 66. Appartient-il à la catégorie des boîtiers amateurs, si l'on considère que si la technologie a évolué, il représentait le fin du fin (qualité allemande oblige) pour son époque, les années 1950.
Certes la mise au point n'est ni réflex, ni télémétrique et il n' y a pas de mesure de la lumière. Mais cela m'impose de convoquer un minimum de pratique photographique (profondeur de champ, technologie rapportée comme la cellule à main). Avouons que le bilan est ambigu. Quant à l'image finale, sa qualité plastique (espérée) résulte grandement de la haute technologie du laboratoire qui réalise le tirage.
Comme tu l'a déjà remarqué, les images de cette série se caractérisent par une ambivalence non résolue entre définition correcte et immixtion de zones de flou dues à la qualité dépassée de l'optique. Pour abréger, disons que le résultat se juge à l'aune du spatio-temporel. Le grand bénéfice pour moi est de créer un apparentement des images qui désormais font famille.
J'ajouterai, au fil de la plume et de ma réflexion, qu'une pratique primitiviste, au côté de la technique, se révèle dans le geste opératoire. Et c'est peut-être là que réside mon primitivisme personnel car je m'abstiens de tout "effort photographique » dans l'instant de la prise de vue. Se normalise le réel par la constance de ma position.
La chose (le monde) advient, je la photographie – c'est tout. »
« Le Héros, 2007 »
de la série Voigtland (Voigtlander Bessa 66)
Voici le nouveau texte que m'a fait parvenir Christophe, à ma demande, ce 29 février 2008 :
« S'il est aisé de trouver toute une littérature sur la question de la "reproductibilité" inhérente à la photographie, la notion d'agrandissement, qui participe autant de la spécificité du médium a suscité bien moins de commentaires. Au point, qu'ayant eu récemment à chercher la date de l'invention de l'agrandisseur, aucun des livres « classiques » sur la photographie ne m'a été d'un quelconque secours.
Lorsqu'il m'a fallu arrêter un format de tirage pour la série "Voigtland", j'ai choisi un format assez imposant : 150 x 150 cm. L'autre parti-pris était de montrer les images, certes encadrées, mais sans qu'aucune vitre ou plexiglas ne s'interpose entre l'image et le spectateur.
D'un coté, toute l'ambigüité d'un appareil obsolète, doté d'une optique douce et "piquée" en son centre, mais affectée d'un flou imprévisible sur les bords, d'un vignettage digne des débuts de la photographie. De l'autre la posture, le volume, l'abatage de la photographie sûre d'elle-même.
Très vite, l'association entre agrandissement et amplification s'est faite.
Je crois que les fondements de cette idée datent de ma rencontre avec Knut Maron il y a quelques années. Je l'avais vu travailler dans le paysage juste équipé de son Polaroïd SX 70 et j'avais vu les petites images bleutées qui en sortait. Il m'avait expliqué qu'ensuite, dans son laboratoire, il rephotographiait ce Pola originel (primitif, oserais-je dire) sur un banc de reproduction, à la chambre 4x5 nourrie d'une ektachrome. Parfois il filtrait ses sources lumineuses avec des gélatines au banc, parfois l'intervention sur la couleur se faisait au moment de l'insolation du Cibachrome, a l'aide des filtres de l'agrandisseur. Le tout aboutissant à un tirage d'environ 110 x 120 cm
Toutes ces strates d'intervention, altérant / transcendant le cliché d'origine m'avait immanquablement fait penser au travail d'un musicien triturant le son à l'aide d'effets, delay, réverbération, saturation, etc, jusqu'à l'émission du signal final à travers l'amplificateur.
J'aime bien aussi l'idée que l'action de la chimie photographique est essentiellement électrique, cet électron arraché pour que l'halogénure mute en métal massif.
Je me souviens aussi, que dans une interview radiophonique, Arnaud Claass avait comparé le flou photographique à la rumeur...
... L'histoire d'une vérité malade de distorsion... »
http://voigtland.blogspot.com/
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