Arnaud Zajac m'a récemment envoyé ce courrier :
« Bonjour,
je viens de passer quelques heures à visiter « Foto Povera 2» ; ça m'a donner envie de t'envoyer quelques images... elles sont je crois assez proches, dans l'esprit, de celles que tu montres... (bien que faites avec un appreil numérique). Le côté « pauvre » c'est aussi pour moi le petit format imprimé avec mon imprimante à 3 sous... » [extrait de la lettre postée le 19 mai 2008]
Voilà un aspect que je n'ai que peu abordé sur ce blog : l'économie de moyens pour laquelle optent nombre d'artistes dans le mode de présentation de leurs images: des petits tirages chromogènes ou des impressions jet d'encre simplement collés au mur (Cf. par exemple Caroll' Planque), sur le modèles des Lomowalls des Lomographes. Pas de frais d'encadrement ; pas frais de contrecollage...
Notons que fortement pixellisées, les images numériques peuvent elles aussi relever de pratiques pauvres ; par ailleurs les images d'Arnaud Zajac, avec leurs flous, leurs cadrages fluides et spontanés, souvent excentrés, évoquent parfois fortement certaines photos de Bernard Plossu...
Influence qu'il reconnait dans son second courrier, en réponse au mien :
« Je pense aussi que la Foto Povera est une question d'état d'esprit, de rapport au monde et pas une question de moyen techniques ou autres. Peut-être aussi quelques références plus ou moins conscientes en commun...
Tu me parlais de Bernard Plossu ans ma réponse par courrier] ; la découverte de ses photos dans les années 1980 a été pour moi un point de départ, à partir duquel j'ai découvert de nombreuses choses que j'ignorais, en particulier la Beat Generation...
J'avais rédigé un petit mémoire sur le travail de Bernard Plossu quand j'étais étudiant. Il m'avait beaucoup encouragé quand je lui avais montré mes photos. Ensuite, j'ai arrêté de faire des photos pendant des années...
Il y a deux ans, après la naissance de mon fils, mon regard a changé et je me suis mis à faire des images avec un appareil numérique (alors que je n'aimais pas ça du tout, moi j'étais un amoureux du beau baryté et du grain...) et peu à peu j'ai trouvé certaines images intéressantes, débarrassées de mes tics, de mes effets... (je pense qu'une bonne photo reste une bonne photo même imprimée sur du papier journal non ?). »
Je pense aussi en effet qu' « une bonne photo reste une bonne photo même imprimée sur du papier journal » ; c'est d'ailleurs ce qu'a fait Daniel Price, avec du papier recyclé, pour diffuser des photos réalisées avec des toys-cameras dans sa revue Shots. Dans chaque numéro de la revue, l'on peut vérifier qu'une bonne image conserve sa force formelle intrinsèque, même mal imprimée... A noter qu'Arnaud Zajac aime imprimer lui-même ses photos avec une imprimante basique, et relier les feuilles pour constituer des petits livrets : petit format, économie des moyens techniques... (comme à sa manière, et avec ses Polas, Clotilde Noblet...). L'on ma souvent reproché de recourir à l'appellation « photo pauvre », à tort ou à raison – je reste ouvert au débat et ne suis pas avide de consensus, au contraire, nombre de contradictions peuvent être relevées dans le mode de production, présentation, et vente des images des adeptes de la Foto Povera, et je l'assume pleinement, tant que ces « contradictions » me semblent constructives... – ce qu'ignorent ou font semblant d'ignorer les gens, de bonne fois ou non, c'est que, pour rendre viable une expo, vendre une photo ou un livre, l'on doit souvent renoncer au titre original, plus universitaire : « Foto Povera » n'est-il pas, tout comme, à un moindre degré, « Les Pratiques pauvres , du sténopé au téléphone mobile», plus « vendeur », moins hermétiques que le titre de mon mémoire de DEA d'histoire de l'art soutenu en 2000 à l'Université Paris-1 Panthéon Sorbonne (je remercie à nouveau Philippe Dagen et Michel Poivert, pour leurs conseils avisés, et l'intérêt qu'ils manifesté à l'égard de mes recherches) : « Les Pratiques archaïsantes dans la photographie contemporaine. ») ?...
Contraintes universitaires, journalistiques, artistiques et commerciales : adeptes de la « Foto Povera », ceux qui s'en revendiquent clairement, ou ceux qui se déclarent proches du concept, nous pratiquons tous des prix modérés d' « atelier » (compter - sans commission de galerie qui double alors les prix - de 80 à 2 000 euros le tirage, la moyenne étant de 200 à 400 euros).
La « Foto Povera » coûte souvent peu aux collectionneurs de photo : peut-être est-ce que pour cette raison que nous ne sommes pas pris, parfois, au sérieux, et pas achetés alors que j'ai vu nombre de gens s'enthousiasmer pour nos photos ? Le Low-Cost serait-il mal vu dans le marché de l'art ? Ce serait triste et dommageable pour le public peu aisé financièrement d'être dissuadé par ce préjugé, et dommageable, le mot n'est pas trop fort selon moi, pour l'histoire de la photo...
Mais revenons à Arnaud qui me confie par ailleurs, dans le même courrier, qu'il « préfère l'appellation "photo alternative" à "Foto Povera", cela fait penser au Rock alternatif... tout ça... un truc fait pour tout le monde... simple, indépendant, libre... Enfant, j'aimais l'idée que le Rock pouvait changer le monde...
Un autre univers important pour moi : le polar qui, comme le rock, est un genre populaire, souvent engagé... j'aime surtout les auteurs français comme Pouy, Raynal et bien d'autres... »
« Rock » et « Polar » (pour ma part, j'évoquerais aussi Manchette, Izzo, Siniac, Pelot pour les Français ; et le Belge Simenon, les Américains Himes, Ellroy...) : ce sont des goûts que nous avons en commun et que partagent, je crois, nombres d'adeptes de la « Foto Povera », ou « de pratiques archaïsantes », ou « alternatives »....
Ce « rock » qui pourrait changer le monde : c'est ce que formule, justement, Daniel Challe, dans son dernier livre, Fuga, paru aux éditions Filigrannes, déjà chroniqué ici, et dans une version plus longue et plus polémique sur : http://www.lacritique.org/article-parution-de-fuga-de-daniel-challe
Dans mon second courrier, je lui ai aussi demandé, si si certaines photos étaient faites, comme je le supposais, sans viser ?
« Oui, certaines photos sont faites sans mettre l'oeil dans le viseur... mais dire qu'elles sont faites sans viser ? Je ne crois pas... Je vise sans regarder dans le viseur, mais (ce n'est pas fréquent), je vise avec le viseur mais très vite. Je fais beaucoup de photos en conduisant ma voiture et en vélo, c'est vraiment la bonne vitesse pour voir. »
Prendre le temps de voir, en prenant son temps mais en cadrant parfois vite, de manière spontanée, et associer le mécanisme du vélo à celui des anciens appareils photo... Voilà un projet qui me plait beaucoup.
2 commentaires:
Le Low-Cost serait-il mal vu dans le marché de l'Art ?
Cette interrogation me fait réagir car je pense effectivement qu'en France la "Foto Povera" est répertoriée comme une pratique amateur donc moins sérieuse et fiable que les pratiques professionnelles !
L'essentiel est pourtant l'émotion ou le message véhiculé par l'image.
Je pense que c'est avant-tout une question de mentalité, d'état d'esprit aussi. Aux Etats-Unis par exemple, le Copy Art est une discipline reconnue, en France, pratiquement personne ne la connaît.
La Photocopie est aussi un art...
Clotilde
Je suis tout à fait d'accord avec toi... "Low-Cost", "Copy Art", l'image conserve sa force intrinsèque, comme je l'écrit dans l'article...
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